21 mars 2023

Est-ce que il y a une obligation, pour le commissaire, de communiquer à l’Administration de la Trésorerie les discordances constatées au niveau du registre UBO, en vertu de la loi AML ? Est-ce que le commissaire doit procéder automatiquement à une évaluation de la situation juridique de son client dans le cadre de son mandat de commissaire ?

  1. La situation suivante est décrite:

    « Le dernier TAA fait mention de l'obligation, pour le commissaire, de communiquer à l'Administration de la Trésorerie les discordances constatées au niveau du registre UBO, en vertu de l'article 74/1§1 de la loi AML (voir page 42 TAA 76/2022).

    D'après moi, cette interprétation de la loi n'est pas correcte. En effet, l'article 74/1 prévoit également que :

    "Par dérogation à l'alinéa 1er, les entités assujetties visées à l'article 5, § 1er, 23° à 28° (dont réviseur), ne communiquent pas la différence constatée visée au même alinéa, lorsque les informations et renseignements ont été reçus d'un client ou obtenus sur un client lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l'exercice de leur mission de défense ou de représentation du client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que ces informations ou renseignements soient reçus ou obtenus avant, pendant ou après cette procédure, sauf si les entités assujetties visées ont pris part à des activités de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, ont fourni un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou savent que le client a sollicité un conseil juridique à de telles fins."

    Ma lecture est la suivante : un assujetti réviseur / commissaire ne communique pas la différence constatée à l'Administration de la Trésorerie lorsque les informations et renseignements ont été reçus d'un client ou obtenus sur un client lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client (par exemple l'évaluation de la situation juridique de ce client faite dans le cadre d'un mandat de commissaire). Qu'en pensez-vous ? »

  2. Avant de répondre à cette question, l’ICCI souhaiterait souligner que le TAA est une revue doctrinale à l’attention des réviseurs d’entreprises, qui contient également des prises de position et des opinions personnelles.

     

    En outre, l’ICCI souhaiterait indiquer que la problématique soulevée concerne uniquement l’obligation de déclaration à la CTIF et la notification à l’Administration de la Trésorerie de toute différence constatée entre les informations sur les bénéficiaires effectifs disponibles dans le registre UBO et celles qui sont à la disposition du commissaire. L’exception mentionnée dans la question ne vise pas les autres obligations en matière d’anti-blanchiment, qui restent applicables aux réviseurs d’entreprises, notamment en matière d’identification des clients et d’évaluation du risque de blanchiment qu’ils représentent.

  3. Comme indiqué, l’article 74/1, §1er, al. 4 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces (ci-après « Loi AML ») prévoit une dérogation à la notification à l’Administration de la Trésorerie, entre autres,  pour les réviseurs d’entreprises « lorsque les informations et renseignements ont été reçus d'un client ou obtenus sur un client lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l'exercice de leur mission de défense ou de représentation du client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que ces informations ou renseignements soient reçus ou obtenus avant, pendant ou après cette procédure, sauf si les entités assujetties visées ont pris part à des activités de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, ont fourni un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou savent que le client a sollicité un conseil juridique à de telles fins. »

     

  4. Concernant la notion d’ « évaluation de la situation juridique du client » la Cour Constitutionnelle ([1]) s’est prononcée quant à l’interprétation à donner à cette notion. Il y a lieu d’indiquer que la Cour s’est prononcée sur une exception similaire, relative à l’obligation de déclaration à la CTIF, prévue à l’article 53 de la Loi AML. Les libellés des deux exceptions étant presque identiques, ce qui suit doit également être applicable dans le cadre de l’exception de notification à la Trésorerie.

     

    La Cour a jugé que la notion d’« évaluation de la situation juridique » du client comprend celle de conseil juridique et que l’activité de conseil juridique vise à « informer le client sur l’état de la législation applicable à sa situation personnelle ou à l’opération que celui-ci envisage d’effectuer ou à lui conseiller la manière de réaliser cette opération dans le cadre légal » et que celle-ci « a donc pour but de permettre au client d’éviter une procédure judiciaire relative à cette opération ».

  5. Afin d’être complet, l’ICCI souhaiterait encore ajouter la considération suivante : l’exception aux obligations de notification, le cas échéant à la CTIF ou à la Trésorerie, a pour objectif de protéger d’une part, le secret professionnel du commissaire et d’autre part, le droit à la défense du client.

     

    Le seul document émis par le commissaire qui pourrait, selon une lecture particulière qui n’est par ailleurs pas partagée par la doctrine, correspondre à une « évaluation de la situation juridique du client » est le rapport du commissaire sur les comptes annuels. Or, ce document est public et dès lors non protégé par le secret professionnel du commissaire. Par conséquent, dans cette logique, l’exception de l’article 53 ne vaut à notre avis pas pour le commissaire. Par extension, l’exception prévue à l’article 74/1,§1er, al.4 concernant la communication de toute différence constatée à la Trésorerie ne trouvera pas à s’appliquer dans le chef d’un commissaire.

  6. Sur base de ce qui précède, l’ICCI est d’avis que le commissaire ne procède pas automatiquement à une évaluation de  la situation juridique de son client dans le cadre de son mandat de commissaire. L’ « évaluation de la situation juridique du client » ne doit pas être confondue avec les obligations en matière de politique d’acceptation des clients ou d’évaluation individuelle des risques du client dans le cadre des article 8 et 19, §2 de la Loi AML.

Enfin, l’ICCI souhaiterait faire référence au Manuel de procédures internes en application de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces ([2]),publié sur le site de l’ICCI, qui offre une vue d’ensemble sur les obligations auxquelles sont tenus les réviseurs d’entreprises dans la cadre de la Loi AML.

 

Mots clés :   anti-blanchiment, obligation de notification, exceptions

Sleutelwoorden : antiwitwas, meldingsplicht, uitzonderingen  

 


([1]) C.C., n°10/2008, 23 janvier 2008, voir en particulier B.9.4 et B.9.5; Voir aussi: C.C., n° 114/2020, 24 septembre 2020.

([2]) Cf. Manuel de procédures internes en matière d'anti-blanchiment (icci.be), en particulier le point 12.1.2., p. 56.

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