Auteur(s)

Emmanuel Pieters

Président du Conseil supérieur des professions économiques

Avec une discrétion qui sied parfaitement à sa nature, le Conseil supérieur des professions économiques a célébré cette année ses 40 ans. C’est l’occasion de chercher dans sa raison d’être historique les perspectives de son action future.

C’est aussi la première année de fonctionnement du Conseil supérieur que j’ai l’honneur de présider dans sa nouvelle composition, ce qui me donnera l’occasion de confronter les préoccupations contemporaines à ses fondements premiers.

 

Principes fondateurs

Sans retracer dans les lignes qui suivent l’historique complet du Conseil supérieur ni les différentes options qui étaient envisagées et débattues à l’époque, je voudrais simplement citer l’avis du Conseil central de l’économie de 1972 (Conseil central de l’Economie, avis relatif au révisorat, n° 433, 12 juillet 1972) dont la teneur nous éclaire sur le cœur même de ce qui constitue sa raison d’être initiale.

Le Conseil central de l’Economie estimait alors qu’« il est un fait que l’organisation de la profession de reviseur soulève de nombreux et délicats problèmes. Les tentatives faites par le législateur en 1953, par la création de l’Institut des reviseurs d'entreprises, si elles ont constitué un début d’organisation, se sont avérées incapables de résoudre tous ces problèmes

Le Conseil central de l’Economie soulignait à propos de l’organisation de la supervision « qu’il importe (…) que la structure institutionnelle à mettre en place rencontre un certain nombre de préoccupations qu’il considère indispensables pour donner au révisorat toutes les garanties d’indépendance, de confiance et d’efficacité :

  • concilier les objectifs, que l’on veut assigner à l’organe d’intérêt général à instituer en matière de révisorat, avec l’organisation d’une association de reviseurs, qui doit veiller à éviter toute tendance au corporatisme ;
  • concilier l’exercice d’une profession qui conserve un caractère indépendant avec la mission d’intérêt général qu’elle est chargée d’assumer ;
  • concilier l’accroissement du nombre de reviseurs, qui sera rendu nécessaire par l’extension du révisorat, avec les exigences en matière de qualité et de compétence qu’il convient d’imposer aux reviseurs dans l’accomplissement de leur mission ;
  • veiller à l’exercice de la mission du reviseur et, en particulier, au rôle actif qu’il est appelé à jouer vis-à-vis du conseil d’entreprise.

Pour assurer la réussite de l’organisation du révisorat, telle qu’elle est préconisée (…), il est essentiel de garantir la confiance de tous les intéressés.

Le Conseil considère qu’il convient d’instituer un organe de tutelle, à qui devraient être confiées l’organisation et la tutelle du révisorat, ainsi que l’élaboration des directives et recommandations concernant l’application de mesures législatives (…) en ce qui concerne le révisorat. »

 

Des évolutions ultérieures et des préoccupations nouvelles

Le Conseil supérieur fut créé et ses missions évoluèrent au gré des réformes de 1985, 1993, 1999, 2007 et 2016. Sa mission principale est celle de veiller à ce que les activités des professionnels « du chiffre » soient exercées dans le respect de l'intérêt général et des exigences de la vie sociale.

Étant revenu rapidement à l’origine des principes qui ont guidé le législateur lors de la création du Conseil supérieur du révisorat d’entreprises, rebaptisé à différentes reprises pour devenir le Conseil supérieur des professions économiques  élargissant ses compétences aux experts-comptables certifiés, aux conseillers fiscaux certifiés, aux experts-comptables et aux experts-comptables fiscalistes – et des évolutions ultérieures, je voudrais brièvement esquisser quelques préoccupations actuelles.

Un sujet d’attention constant du Conseil supérieur en lien avec sa raison d’être est de faire émerger les questions sociétales sous-jacentes aux normes dont il est saisi. C’est au demeurant la responsabilité première du président chargé de la gouvernance de l’institution de les mettre au cœur des discussions.

Sous des apparences de complexité, les normes recèlent souvent des enjeux qui dépassent la pure technique. J’en citerai quelques-uns, sans exhaustivité.

Naturellement, la transparence du marché, la qualité et la fiabilité des informations, qu’elles soient financières ou non, est une condition nécessaire à son fonctionnement optimal.

C’est d’ailleurs en ce sens que l’examen des projets qui lui sont soumis se concentre souvent sur la problématique de l’information diffusée dans les conseils d’entreprise.

Le Conseil supérieur, par son action doit y veiller, non seulement dans l’examen des normes mais aussi eu égard à la nécessité impérieuse de disposer de professionnels de haute qualité et en nombre suffisant. Le récent avis rendu par le Conseil supérieur dans le dossier relatif à l’accès à la profession des réviseurs d’entreprises est un pas en ce sens.

Parmi les enjeux actuels, dans un contexte économique chahuté, figurent les enjeux liés à la compétitivité. Celle-ci ne se limite pas au poids des charges fiscales et sociales pour les entreprises ou au coût de l’énergie par exemple, mais englobe des questions aussi cruciales que l’appui que les entreprises trouvent auprès de leurs conseillers naturels que sont les professions économiques. La noblesse du Conseil supérieur est d’y contribuer par sa doctrine.

Un autre enjeu à souligner est la simplification administrative. Ce sujet est traité de manière récurrente depuis longtemps. Se souvient-on que la loi-programme de promotion de l’entreprise indépendante qui créait l’Agence pour la simplification administrative date de 1998 ? A chaque législature, un membre de l’exécutif se voit confier le portefeuille de la simplification administrative. Il n’en demeure pas moins que le Moniteur belge a battu tous les records l’année 2024 avec près de 150.000 pages publiées !

Il en va de même au sein des institutions européennes. On pourrait croire le problème résolu. Et pourtant, une fois de plus, la communication de la Commission européenne du 12 septembre 2023 intitulée « SME Relief package » qui dresse la feuille de route de ce que sera l’action de la Commission européenne dans le domaine de la politique des PME reprend ce thème, une fois de plus.

La mesure qui suscite sans doute le scepticisme le plus exacerbé est l’annonce dans le « SME relief package » d’une volonté de rationalisation des obligations de déclaration découlant de la législation de l’Union Européenne, dans le but de réduire cette charge de 25 % au titre de la simplification administrative.

À son niveau, le Conseil supérieur, dans ses relations avec les Instituts, peut y contribuer.

À cette fin, deux lignes de force me paraissent devoir être retenues dans ses propres procédures.

Premièrement, en se concentrant sur les questions de fond et essentielles des projets qui lui sont soumis. La mission du Conseil supérieur n’est pas un contrôle de légistique formelle quoique bien entendu la qualité « technique » et la sécurité juridique d’une norme participent aussi à son efficience. La « better regulation » est à ce prix.

Deuxièmement, en veillant à suivre des processus de gouvernance des projets qui lui sont soumis qui assurent un traitement adéquat des dossiers. Cela suppose un dialogue ouvert avec les Instituts notamment à travers des auditions et des échanges de vues fructueux qui assurent la plus grande transparence de la procédure d’instruction des dossiers et la souplesse et le respect nécessaires des partenaires du dialogue, mais aussi la compréhension réciproque des priorités de chaque partie prenante.

Je m’en voudrais de ne pas souligner la difficulté que représente l’existence de deux bases légales avec des règles de procédures différentes selon les Instituts (IRE et ITAA) auxquelles obéit le traitement des normes communes.

Il n’est pas inutile de rappeler que parmi les différentes extensions du champ d’action du Conseil supérieur, il y a celui de 1993. C’est la réponse qu’a donné le législateur, après réflexion, aux missions de « monopole partagé » confiées en 1991 et en 1993 aux réviseurs d’entreprises et aux experts-comptables certifiés, pour autant qu’il n’y ait pas de commissaire en place dans l’entreprise concernée.

L’objectif poursuivi par le législateur en 1993 était de veiller à ce que les professionnels (indépendamment de l’institut dont ils relèvent) effectuent ces missions de « monopole partagé » de manière similaire afin de garantir aux entreprises une même fiabilité du rapport émis au terme de ces missions.

Les enjeux de la double transition (verte et digitale) traversent tous les secteurs. Il n’en va pas différemment du Conseil supérieur comme en attestent les efforts intenses déployés pour aboutir à l’approbation du projet de norme d’exercice professionnel spécifique de l’IRE relative aux missions d’assurance de l’information (consolidée) en matière de durabilité confiées par la loi aux réviseurs d’entreprises, avec à l’avenir une ouverture du marché aux « IASPs » ou independent assurance service providers.

Concernant plus spécialement la digitalisation et l’intelligence artificielle, outre les enjeux majeurs qu’elle représente pour l’exercice du métier lui-même, on notera au passage l’approbation du projet de norme relative au contrôle de la conformité du rapport annuel des sociétés cotées sur un marché réglementé avec le format électronique unique européen, le fameux format ESEF.

Ce format unique permet une comparabilité des informations publiées par toutes les sociétés cotées sur un marché réglementé de l’Union européenne, grâce au balisage défini au niveau européen. D’ici 2030, cette comparabilité sera encore facilitée par la centralisation auprès du point d’accès unique européen de tous ces rapports annuels.

 

Conclusion

Pour conclure en quelques mots, la démarche normative se doit d'être accompagnée d'une réflexion portant sur les contraintes techniques propres à la matière traitée mais également sur les questions socio-économiques y afférentes. La responsabilité normative, au sens courant du terme, incombe généralement à un organe élu qui procède à l'examen politique de la règle. Lorsque l'élaboration de la règle s'effectue en dehors de toute enceinte politiquement responsable, il existe un risque de voir des normes émerger qui rencontrent les contraintes techniques mais méritent d’être confrontées aux enjeux propres à d’autres disciplines.

C’est aussi en cela que le rôle du Conseil supérieur demeure crucial notamment au vu de sa composition avec la présence des partenaires sociaux mais également de membres provenant d’autres horizons, tout en étant indépendants des instituts et de la profession.