19 avril 2022

 Sur une affectation de dividende dont 50% reste non distribué, ce montant brut peut-il rester en dette de dividende sur une longue durée sans générer de soucis fiscaux ?

 

  1. 1.      La question suivante est posée:

     

    « En 2019, une SRL décide d’affecter un dividende important à la suite d’un très beau résultat.

    Toutefois, par mesure de prudence, elle décide lors de son assemblée générale ordinaire (ci-après : « AGO ») de 2020 de ne distribuer et de ne payer que 50% des dividendes affectés relatifs à cet exercice.

    50% des dividendes sont ainsi payés et le précompte mobilier y relatif a été acquitté dans le délai de 15 jours.

    Le solde brut des dividendes affectés est maintenu dans le compte 471 Dividendes de l’exercice.

    Les tests d’actifs nets et de distribution ont été réalisés et étaient positifs.

     

    Le PV de l’AGO tenue en 2020 sur les comptes de 2019 indique entre autres : « L’AG décide de payer 50% des dividendes correspondant à l’exercice 2019 et laisse le soin au gérant (administrateur) de décider de la date de distribution du solde des dividendes de l’exercice 2019 ».

    Les perspectives de l’époque laissaient à penser que cela puisse être réalisé avant la fin de l’année 2020 avec un espoir vers novembre 2020.

     

    Les circonstances (dont le covid)  ont fait que les perspectives et objectifs n’ont pas été atteints et que par prudence 50% des dividendes affectés en 2019 non encore distribués (et non payés) sont toujours restés en compte de dette #471 Dividende à payer et ne sont à ce jour toujours pas payés.

    Le montant brut de dividende est bien maintenu dans ce compte #47 et il n’a pas été porté au crédit de comptes courants actionnaires (#48), ni dans un compte de dette fiscale #453 pour les 30% de précompte mobilier qu’il faudra honorer dans les 15 jours d’une attribution ou mise en paiement des dividendes.

     

    La question qui se pose au client est de savoir si sur cette affectation de dividende dont 50% reste non distribué, ce montant brut peut rester ainsi en dette de dividende sur une longue durée sans générer de soucis fiscaux. Il s’agit du montant brut affecté (50%) et sur lequel à ce jour aucun précompte mobilier n’a été versé (sur ces 50%).

    Par ailleurs, la société ne souhaite prendre aucun risque de liquidité. De notre côté, en tant que commissaire, nous devrons refaire le test de liquidité qui risque de montrer que si ces 50% sont payés, le test ne serait pas probant sur une période de 12 mois. L’organe d’administration souhaite attendre des jours meilleurs avant de distribuer le dividende anciennement accordé et non payé.

     

    Outre une question d’un risque fiscal éventuel à maintenir le montant brut en dette (#47) et ceci sur une longue durée sans paiement d’un précompte et sans compter d’intérêt, quelques questions comptables et du droit des sociétés se posent en fonction des hypothèses choisies.

     

    1. Si entre 2020 et ce jour, l’un ou l’autre actionnaire qui a droit à une quotité du dividende restant à recevoir a quitté la société, peut-il être envisagé de leur payer leur quotité et le précompte sans devoir le réaliser pour l’ensemble des actionnaires ?
    2. S’il est répondu favorablement à cette question, un nouveau test de distribution est-il prérequis pour ces actionnaires sortants en sachant que le délai initial d’un an est passé ?
    3. Les actionnaires restants peuvent-ils attendre sans limite à des jours meilleurs pour percevoir ces dividendes attribués et non payés de 2019 sans que la société ne doive honorer de précompte et sans compter d’intérêts sur la dette de dividende ?
    4. Si le constat d’une situation financière à court et moyen terme de la société ne permet pas de passer favorablement le test de distribution (liquidité) sur l’ensemble des dividendes restant à payer, la société peut-elle demander l’annulation de l’affectation des 50% non distribués (et non payés) ? Dans ce cas, la dette (#471) s’éteindrait mais quelle en serait la contrepartie en sachant qu’historiquement cette dette s’est créée par l’affectation du résultat. Je ne vois pas de compte spécifique d’extourne prévu au niveau des comptes d’affectation. Peut-on avoir un compte #694 créditeur ? A défaut, y-a-t-il un compte spécifique prévu dans ce cas ?

       L’écriture proposée serait :

      #471 Dividende Dt

      À #694 Rémunération du capital Ct

      #693 Bénéfice à reporter Dt

      À #14 Bénéfice reporté Ct.

      A défaut, serait-il envisageable de passer directement par les fonds propres par le bénéfice reporté, soit l’écriture #471 Dividende à #14 Bénéfice reporté?

    5. Si pour le point 4, à défaut du passage par une compte d’extourne d’affectation (ou directement par le bénéfice reporté) il est utilisé un compte #76 (produit exceptionnel), n’est-ce pas fausser l’image fidèle ? Par ailleurs, dans cette option, n’a-t-on pas le risque de devoir considérer ce renoncement du dividende comme un abandon de dette et par voie de conséquence considérer préalablement la reconnaissance d’une dette qui sera alors considérée comme une attribution ou une mise en paiement du dividende avec l’obligation de payer le précompte mobilier. Ensuite de l’abandon de créance des actionnaires, un précompte de 30% serait payé sur un montant jamais perçu par les actionnaires. Economiquement pour la société ce paiement de précompte serait une dette fiscale. Afin de pouvoir l’honorer, cette sortie de trésorerie devrait-elle alors également faire l’objet d’un test de liquidité. Que se passerait-il alors de constater que le test de liquidité pour honorer cette dette fiscale est négatif ? Nous serions alors exposés à une situation assez absurde mais qui pourrait poser un problème. Ceci d’autant plus si le fisc viendrait à réclamer le paiement de cette dette (sur un dividende jamais perçu).

       

      Pourriez-vous aborder les 5 hypothèses qui se posent et en exposer votre point de vue ? ».

       

  2. Concernant la question de savoir si sur l’affectation de dividende en question dont 50% reste non distribué, ce montant brut peut rester ainsi en dette de dividende sur une longue durée, l’ICCI est d’avis que cette question peut être liée à la problématique de savoir si les décisions prises par l'AGO de l'année X en matière de dividendes tombent dans une sorte de caducité lors de l'AGO de l'année Y, même dans le cas des SRL et des SC soumises au CSA.

     

    L’ICCI estime qu’il y a un certain nombre de controverses à ce sujet actuellement ( [1] ), et que, par conséquent, deux thèses divergentes méritent d’être élaborées ci-après.

     

    Selon une première thèse, compte tenu du principe de l’annuité ( [2] ) ainsi que de la jurisprudence de la Cour de Cassation ( [3] ), le dividende décrété par l’assemblée générale (ci-après « AG ») doit être mis en paiement dans l’année, à peine d’être frappé de caducité.

     

    Selon une seconde thèse, la formulation explicite de l’article 5:143 du CSA précise que la décision de distribution prise par l’AG « ne produit ses effets » qu’après que l’organe d’administration aura constaté qu’à la suite de la distribution, « la société pourra, en fonction des développements auxquels on peut raisonnablement s'attendre, continuer à s'acquitter de ses dettes au fur et à mesure de leur échéance pendant une période d'au moins douze mois à compter de la date de la distribution ». Par conséquent, la distribution effective du dividende peut, selon cette thèse, être « théoriquement » reportée de plus d’un an. Il faut noter que les administrateurs risquent d'être tenus solidairement responsables. Les actionnaires devront également rembourser le dividende, le cas échéant.

     

    Par conséquent, l’ICCI conseille, dans l’attente d'une clarification légale ou jurisprudentielle à ce sujet, que l’AGO de l’année X dise explicitement que si les dividendes n’ont pas pu être payés avant l’AGO de l’année Y, la question du maintien de la décision de l’année X sera réexaminée lors de l'AGO de l’année Y.

     

  3. En ce qui concerne les 5 hypothèses qui se posent, l’ICCI peut exposer notre point de vue comme suit.

 

  1. Un actionnaire qui a quitté la société entre la date de l’affectation du dividende par l’AG et la date où le dividende est payé aux actionnaires, a droit à la quotité du dividende restant à percevoir après l’affectation de ce dividende par l’AG. En effet, le droit au profit des actionnaires (i.e. tous les actionnaires) devient un droit d'action concret lorsque l’AG décide d’affecter des dividendes ( [4] ). L’assemblée générale ne peut alors pas revenir sur la décision de distribution des bénéfices ( [5] ).

     

    Par conséquent et conformément du principe d’égalité des actionnaires, il ne semble pas envisageable de payer seulement des actionnaires qui ont quitté la société sans devoir le réaliser pour l’ensemble des actionnaires (au sein d’une même classe d’actions).

     

    En ce qui concerne le précompte mobilier, l’ICCI se réfère à l’article 267, al. 1 et 2 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : « CIR 1992»), qui dispose :

     

    « L'attribution ou la mise en paiement de revenus mobiliers, en espèces ou en nature, entraîne l'exigibilité du précompte mobilier.

      Est notamment considérée comme attribution, l'inscription d'un revenu à un compte ouvert au profit du bénéficiaire, même si ce compte est indisponible, pourvu que l'indisponibilité résulte d'un accord exprès ou tacite avec le bénéficiaire. »

     

    De ce qui précède et tenant compte de la jurisprudence à ce sujet ( [6] ), l’ICCI est d’avis que la totalité du précompte mobilier est payable dès l’exigibilité (i.e. la mise en paiement) du dividende.

     

  2. Sans objet, compte tenu de la réponse à la première hypothèse.

     

  3. L’ICCI se réfère au point 3 précité. Cependant, en toute hypothèse, le non-paiement du précompte mobilier en question semble contraire à l’article 267 du CIR 1992 précité.

     

  4. Comme déjà mentionné au numéro 4.1. in fine, l’assemblée générale ne peut pas revenir sur la décision de distribution des bénéfices ( [7] ). Par conséquent, la société en question ne peut pas demander l’annulation de l’affectation des 50% des dividendes déjà affectés par l’AG, mais non encore distribués (et non payés). En outre, le compte 471 Dividende mouvementé suite à l’affectation est bien un compte de dette et cette dette n’est pas conditionnelle. L’ICCI est d’avis que si l’on veut néanmoins obtenir cet effet, alors il n’y a pas d’autre option que de payer le précompte mobilier (si nécessaire) et de passer par un apport en nature pour réintroduire la « dette constatée ».

     

  5. L’ICCI est d’accord avec l’ analyse selon laquelle les écritures proposées en hypothèse 4 peuvent être considérées comme faussant l’image fidèle de la situation de la société.

( [1] ) Voy. à ce sujet : J. Malherbe, Y. De Cordt, P. Lambrecht, P. Malherbe et H. Culot, Droit des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 711-712, n° 1320.

( [2] ) W. Ganshof, note sous Cass. 7 février 1967, Pas. 1967, I, p. 698 ; J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, I, Bruxelles, 1976, I, p. 473, n° 782.

( [3] ) Cass. 7 février 1967, Pas. 1967, I, p. 698.

( [4] ) M. Wyckaert, Kapitaal in NV en BVBA, Kalmthout, Biblo, 1995, p. 469, n° 688; Cass. 16 janvier 1964, Pas. 1964, I, p; Cass. 11 décembre 1962, Pas. 1963, I, p. 455 ; Cass. 3 janvier 1957, Pas. 1957, I, p. 485.

( [5] ) J. Malherbe, Y. De Cordt, P. Lambrecht, P. Malherbe et H. Culot, Droit des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 710-711, n° 1319.

( [6] ) Voy. notamment Gand (fisc.) (5e ch.) n° 2017/AR/888, 24 avril 2018.

( [7] ) J. Malherbe, Y. De Cordt, P. Lambrecht, P. Malherbe et H. Culot, Droit des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 710-711, n° 1319.