27 avril 2022

Peut-on conclure qu'il n'y a pas d'exception permettant de justifier un transfert de documents à l'administration au-delà du simple signalement de la différence constatée par un réviseur d'entreprises (= entité assujettie) avec les données du registre UBO d'un client ?

 

 

  1. La situation suivante est décrite:

     

    « Une notification de différence concernant le registre UBO d'un client dont nous sommes commissaire a été faite à l'administration. Suite à cette notification, il nous est demandé par le service du SPF Finances | Trésorerie | Contrôle des Instruments Financiers et des Institutions | Compliance de fournir les documents probants justifiant les informations fournies dans la notification de différence ainsi que d'indiquer de quand datent ces informations et d’où proviennent-elles.

     

    Après une étude attentive de la LAB et de certains articles de doctrine à son sujet, nous sommes cependant parvenus à la conclusion qu'il n'y a pas d'exception permettant de justifier un transfert de documents à l'administration au-delà du simple signalement de la différence constatée par un réviseur d'entreprises (= entité assujettie) avec les données du registre UBO d'un client.

     

    Nous en trouvons d'ailleurs la confirmation dans l'article 111 de la LAB: "L'Administration de la Trésorerie ne connaît des relations entre l'entité assujettie et un client déterminé que dans la mesure requise pour le contrôle de l'entité assujettie.". L'ICCI rejoint-il notre analyse ? L'ICCI peut-il donner son avis sur cette problématique ? »

     

  2. Nous  confirmons qu’il n’existe pas de base légale spécifique permettant à la Trésorerie de demander des documents probants ou des informations supplémentaires à une entité assujettie. En effet, les pouvoirs de contrôle de la Trésorerie sont spécifiés à l’article 74, §2 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces (ci-après « LAB ») :

     

    « § 2. Le service de l'Administration de la Trésorerie visé à l'article 73 est chargé de recueillir, conserver, gérer, contrôler la qualité des données et mettre à disposition les informations reprises au paragraphe 1er, conformément aux dispositions de la présente loi et des dispositions légales ou réglementaires permettant le recueil initial de ces données.

      L'Administration de la Trésorerie est chargée du contrôle du respect des obligations visées à l'article 1:35 du Code des sociétés et des associations.

      L'Administration de la Trésorerie exerce le contrôle, visé à l'alinéa 2 du présent paragraphe, en application des pouvoirs de contrôle prévus à l'article 110, alinéa 2. »

    L’article 111 q cité n’est pas applicable en l’espèce car l’ensemble des dispositions du chapitre 5 (art. 110 à 113) vise le contrôle que peut exercer la Trésorerie à l’égard de Bpost (de la même manière que le Collège de supervision des réviseurs d’entreprises est compétent pour le contrôle du respect de la LAB par les réviseurs d’entreprises).

     

    L’article 74 LAB précité prévoit bien que pour le contrôle du respect des obligations visées à l’article 1:35 du Code des sociétés et des associations (ci-après « CSA »), la Trésorerie dispose des pouvoirs visés à l’article 110, al.2 de la LAB (inspections sur place et prise de connaissance et de copie sur place de toute information et tout document, fichier et enregistrement et accès à tout système informatique), néanmoins les obligations visées à l’article 1:35 du CSA incombent aux redevables d’informations (société ou A(I)SBL) d’une part et aux bénéficiaires effectifs d’autre part.

     

  3. Néanmoins, l’article 74/1, §2, al. 1er de la LAB  amène à nuancer quelque peu la réponse de l’ICCI. Cet article dispose :

     

    « Lorsque des différences sont signalées, ou d'initiative, l'Administration de la Trésorerie prend des mesures appropriées pour modifier, confirmer, compléter, corriger ou clarifier les informations sur les bénéficiaires effectifs figurant dans le registre UBO. Elle peut notamment communiquer les fondements du signalement visé au paragraphe 1er au redevable d'information concerné, visé à l'article 74, § 1er, alinéa 1er, qui modifie, confirme, complète, corrige ou clarifie les informations sur les bénéficiaires effectifs figurant dans le registre UBO dans le mois à compter de la réception de cette communication. L'identité de l'entité assujettie ou autorité compétente à l'origine de ce signalement ne pourra pas être communiquée au redevable d'information concerné. ».

     

    Sur base de cette dernière disposition, et du secret professionnel auquel le réviseur d’entreprises est tenu, l’ICCI est d’avis que deux limites doivent en tout cas être respectées :

    -        Seules les informations utiles à la mission de la Trésorerie en matière de qualité de l’information relative aux bénéficiaires effectifs pourraient être transmises ;

    -        Certains documents ou informations contiennent d’autres informations non pertinentes pour la Trésorerie dans ce contexte et qui peuvent être couvertes par le secret professionnel (ex : un registre d’actionnaires ou une liste de présences à l’assemblée générale comprenant le nom de personnes qui ne sont pas des bénéficiaires effectifs ; ou une convention d’achat d’actions comprenant le prix de cession).

     

  4. Au vu des considérations précédentes, force est de constater qu’une exception au secret professionnel est admise concernant la transmission de certaines informations à la Trésorerie (in casu, la communication de la date des informations ne semble pas poser de problème), l’objectif du signalement à la Trésorerie, visé par l’article 74/1 LAB, étant d’assurer que la Trésorerie dispose d’une information adéquate lui permettant de faire en sorte que les données du Registre UBO soient correctes. Néanmoins, si l’information ou le document demandé tombe sous l’une ou l’autre des limites susmentionnées, le réviseur d’entreprises devrait conseiller à la Trésorerie de s’adresser directement à l’entité visée.

     

  5.  Enfin, l’ICCI souhaite attirer l’attention sur la mission du commissaire au regard de la vérification du Registre UBO. En effet, le fait qu’un signalement ait été effectué à la Trésorerie peut résulter d’une éventuelle infraction de l’entité contrôlée à l’article 1:35 du CSA, susceptible d’entraîner une mention dans le rapport du commissaire, conformément à l’article 3:75, §1er, 9° CSA.

 

Comme mentionné précédemment, l’article 1:35 CSA prévoit d’une part une obligation dans le chef des sociétés et des personnes morales qui sont tenues de «  recueillir et de conserver des informations adéquates, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs » et d’autre part, une obligation dans le chef du bénéficiaire effectif de l’entité de fournir « à l'entreprise ou à la personne morale dont il est le bénéficiaire toutes les informations dont cette entreprise et cette personne morale ont besoin pour satisfaire aux exigences visées ».

 

De ce qui précède, selon l’ICCI il parait adéquat d’entamer un dialogue avec l’organe d’administration de l’entité contrôlée afin de déterminer l’origine du défaut d’information et la nécessité ou non pour le commissaire de mentionner une éventuelle infraction au CSA, conformément à l’article 3:75, §1er, 9° CSA.

 

Les diligences à effectuer et les conséquences sur le rapport du commissaire de la vérification du Registre UBO sont plus amplement décrites aux paragraphes 102 à 104 de la Norme complémentaire (version révisée en 2020) aux normes ISA applicables en Belgique.