19 janvier 2024

La situation suivante est décrite :  

« Un cabinet X exerce un mandat de commissaire auprès d'une société anonyme pour les exercices 2020,2021 et 2022. La société est en procédures « PRJ » (procédure en réorganisation judiciaire) et les comptes annuels de 2022 n’ont toujours pas été établis ni audités, malgré les rappels continus du commissaire à l'organe d'administration. L'organe d’administration fait obstacle à la transmission d'informations (notamment en ce qui concerne la PRJ). Le commissaire se trouve bloqué dans sa mission de contrôle légal des comptes, celui-ci ayant émis le rapport de carence en temps et en heure et ayant déjà effectué la procédure d’alerte. 

Quelles procédures complémentaires le commissaire peut-il envisager? Peut-il démissionner et à partir de quel moment? »

  1. Tout d’abord, l’ICCI souhaite clarifier que si un commissaire n’obtient pas ou n’a pas accès à la documentation ou aux informations dont il a besoin pour remplir sa mission de contrôle, il ne peut utiliser cet argument pour mettre fin de manière anticipée à son mandat. Dans une telle hypothèse, le commissaire fera une réserve ou une abstention ( [1] ).

    En outre, si le commissaire a connaissance d’une opération conclue ou d’une décision prise en violation des statuts ou du Code des sociétés, il doit, à tout le moins, respecter les dispositions de l’article 3:71 alinéa 2 du Code des sociétés et associations (ci-après : « CSA »). S’il considère, après analyse, que le non-respect doit être révélé, il doit mentionner le cas de non-respect dans la section
    « Autres mentions » du rapport du commissaire conformément à l’article 3:75, § 1, 9° du CSA. Toutefois, le commissaire ne peut considérer que ces infractions commises par la société constituent un motif personnel grave ( [2] ).

    En vertu de l’article 5:142, deuxième alinéa du CSA, si l’organe d’administration de la société contrôlée reste en défaut de remettre au commissaire les pièces un mois avant la date prévue pour l'assemblée générale, le commissaire doit émettre un rapport de carence destiné à l'assemblée générale et adressé à l'organe d'administration pour autant qu'ils ne soient pas en mesure de respecter les délais prévus par le CSA en matière de mise à disposition de leur rapport de commissaire.

    L’ICCI comprend que dans le cas d’espèce, un rapport de carence concernant l’exercice 2022, a bien été émis.

     

  2. En ce qui concerne les procédures complémentaires que le commissaire peut envisager, l’ICCI voudrait préciser que, conformément à l’article 3:69, premier alinéa du CSA, le commissaire qui constate, dans l’exercice de  sa mission, des faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité de l’activité économique de la société ( [3] ), doit informer l’organe d’administration par écrit et de manière circonstanciée. Une procédure similaire est prévue dans l’article XX.23, § 3 du Code de droit économique (ci-après : « CDE ») ( [4] ).

     

    Si dans un délai d’un mois à dater de la communication précitée, le commissaire n’a pas été informé de la délibération de l’organe d'administration sur les mesures prises ou envisagées pour assurer la continuité de l’activité économique pendant une période minimale de douze mois, ou s’il estime que ces mesures ne sont pas susceptibles d'assurer la continuité de l'activité économique pendant une période minimale de douze mois, il peut communiquer par écrit ses constatations au président du tribunal de l’entreprise (cf. art. 3:69, troisième alinéa CSA ; art. XX.23, § 3 CDE).

    En effet, dans sa communication 2021/09 ( [5] ), le Conseil de l’IRE précise que :

    « Le fait que l’organe d’administration ait déjà délibéré ou pris des mesures (ex : l’ouverture d’une procédure en réorganisation judiciaire accélérée), ne peut plus être utilisé comme argument permettant d’éviter au commissaire de signaler les faits à l’organe d’administration. Il semble approprié de convenir avec l’organe d’administration que le commissaire soit informé en cas d’application de l’article 2:52 CSA. Un tel accord peut, par exemple, être acté dans la lettre de mission.

    Étant donné que la procédure en réorganisation judiciaire n’offre aucune protection contre les éventuelles conséquences d’une déclaration tardive de faillite (en l’espèce, wrongful trading) (Tribunal de l’entreprise Gand, division Dendermonde, 16 novembre 2020), le commissaire devra veiller à informer l’organe d’administration de l’existence de tels faits, même si une procédure en réorganisation judiciaire est introduite. » 

    Dans le cas d’espèce, il apparaît que le commissaire a également déjà effectué la procédure d’alerte.

     

  3. Afin d’être complet, l’ICCI renvoie également à l’ISA 570 (Révisée), Continuité d’exploitation ( [6] ).

     

  4. Enfin, il pourrait être utile de rappeler une dernière fois ses obligations à l’organe d’administration et notamment la teneur de l’article 3:96, 3° du CSA quant aux dispositions pénales prévues pour ceux qui font obstacle aux vérifications auxquelles ils sont tenus de se soumettre. En outre, les obstacles mis à la mission du commissaire constituent une infraction au CSA, qui doit être dénoncée dans la section « Autres mentions » du rapport du commissaire conformément à l’article 3:75, § 1, 9° du CSA.

     

    Si passé un délai raisonnable, il n’y était pas donné une suite favorable, on pourrait alors envisager la dénonciation de la situation au tribunal de l’entreprise ainsi que la convocation de l’assemblée générale à l’initiative du commissaire (cf. article 7 :126 du CSA). Lors de celle-ci, le commissaire, après qu’il a confirmé son rapport de carence, pourra présenter sa démission ( [7] ).

     

  5. L’ICCI attire aussi l’attention sur l’obligation d’informer le Collège de supervision des réviseurs d’entreprises de toute interruption en cours de mandat et d’en exposer les motifs de façon appropriée, tant dans le chef du commissaire que de la société contrôlée (cf. : Interruption anticipée du mandat de commissaire – Notification motivée au CSR par application digitale | CSR (ctr-csr.be)).

 

 

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Mots-clés : procédure de réorganisation judiciaire, démission

Sleutelwoorden: gerechtelijke reorganisatie, ontslag


( [3] ) Par « faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité de l’activité économique de la société », on entend généralement un ensemble de faits existants, dont on peut raisonnablement penser qu’ils vont provoquer une perturbation de l’équilibre financier, ce qui peut entraîner un état de discontinuité. (Communication 2021/09 du Conseil de l’IRE, Modification du Livre XX CDE – Procédure de réorganisation judiciaire temporaire, 2021-09-communication-modif-cde67d0ba98-45a2-4489-88e3-c704541e0ba4.pdf (ibr-ire.be), p. 2).

( [4] ) Il convient de rappeler que le Conseil de l’Institut estime dans son avis 2015/024 que le commissaire est tenu aux dispositions visées tant par l’article 3:69 CSA que par l’article XX.23, § 3 CDE, ce dernier comprenant sous certains aspects des obligations plus strictes. (Avis 2020/05 du Conseil de l’IRE, Procédure obligeant à prendre des mesures en cas de faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité, 2020-05-Avis-continuite.pdf (ibr-ire.be), p. 5).

( [5] )  Communication 2021/09 du Conseil de l’IRE, Modification du Livre XX CDE – Procédure de réorganisation judiciaire temporaire, 2021-09-communication-modif-cde67d0ba98-45a2-4489-88e3-c704541e0ba4.pdf (ibr-ire.be), p. 2-3.

(76 ) Cf. l’avis de l’ICCI publié le 5 février 2016: Rapport de carence du commissaire (icci.be).

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