6 juin 2019

QUELLE OBLIGATION A-T-ON ENVERS LA CTIF ET ENVERS UN CONFRÈRE DANS LA SITUATION CITÉE CI DESSOUS ?

Un cabinet intervient dans le cadre d’une mission contractuelle récurrente d’établissement de comptes auprès d’un cabinet d’avocats. A cette occasion, on constate que des fonds de clients en cash transitent par le cabinet sans que cela soit traité par une écriture de caisse.

Le cabinet d’avocats a par ailleurs dans la lettre d’affirmation confirmé au commissaire en place qu’il n’y a pas de flux d’argent contant dépassant les seuils, alors que c’est bien le cas


Attitude vis-à-vis de la CTIF

L’ICCI voudrait d’abord relever que les avocats sont également soumis à la législation sur la prévention sur l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme dès lors qu’ils agissent en tant que conseil dans certains domaines prévus par la loi où qu’ils agissent au nom et pour compte de leur client dans toute transaction financière ou immobilière. L’ICCI précise par ailleurs qu’en ce qui les concerne, l’obligation de dénonciation à la CTIF prévue par cette législation vise les opérations de blanchiment du client de l’avocat.

L’article 47 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation des espèces  dispose que

« § 1er. Les entités assujetties [parmi lesquelles les réviseurs d’entreprises] déclarent à la CTIF, lorsqu'elles savent, soupçonnent ou ont des motifs raisonnables de soupçonner :

  1° que des fonds, quel qu'en soit le montant, sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme;

  2° que des opérations ou tentatives d'opérations sont liées au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. Cette obligation de déclaration s'applique y compris lorsque le client décide de ne pas exécuter l'opération envisagée;

  3° hors les cas visés aux 1° et 2°, qu'un fait dont elles ont connaissance est lié au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.

  L'obligation de déclaration à la CTIF en application des 1° à 3°, ne requiert pas l'identification, par l'entité assujettie, de l'activité criminelle sous-jacente au blanchiment de capitaux.».

Monsieur T. Dupont mentionne par ailleurs, dans l’ouvrage « Tribunaux, barreaux et révisorat d’entreprises : actualité de leur collaboration et actualités en droit des affaires » (IBR-IRE, OBFG, OVB, URHB-UJCB eds, Antwerpen, Maklu, 2012, p. 220), ce qui suit :

« Le réviseur d’entreprises ne pourra évidemment pas être accusé de violer le secret professionnel lorsque la loi lui impose une obligation de révélation ou d’alerte dans des circonstances déterminées ou encore lorsque la loi requiert de lui l’établissement d’un rapport précis et complet destiné à éclairer le public sur des faits déterminés. Il en va ainsi dans les cas où il y a lieu de protéger un intérêt social considéré comme supérieur à celui du secret professionnel. C’est donc la théorie du caractère relatif du secret professionnel qui est ainsi appliquée. ».

Sur la base de ce qui précède, l’ICCI est d’avis qu’il incombe de juger si, en l’espèce et compte tenu des circonstances dont on a connaissance, l’article 47 de la loi du 18 septembre 2017 mentionné ci-dessus faisant obligation d’une information à la CTIF  trouve à s’appliquer.

En outre, en vertu de l’article 67 de la loi du 18 septembre 2017, le dépassement du plafond des 3000 euros pour des paiements ou dons effectués ou reçus en espèces ne donnent pas lieu automatiquement à une déclaration à la CTIF, ce serait le cas si on sait, soupçonne ou qu’on a des motifs raisonnables de soupçonner que ces paiements sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.

Attitude vis-à-vis du commissaire du cabinet

L’article 86 de la loi coordonnée du 7 décembre 2016 portant organisation de la profession et de la supervision publique des réviseurs d'entreprises dispose que l’article 458 du Code pénal s’applique aux réviseurs d'entreprises, aux cabinets d'audit enregistrés, aux stagiaires et aux personnes dont ils répondent. . Il en résulte donc que l’obligation du secret professionnel du réviseur d’entreprises dépend donc de son statut et non de la fonction qu’il occupe. Le respect du secret s’impose donc au réviseur d’entreprises dans toutes ses missions.

Le même article prévoit toutefois des exceptions au secret professionnel, mais aucune de celles-ci ne concerne le réviseur chargé de la tenue des comptes de tiers.

En conséquence, l’ICCI est d’avis que le secret professionnel doit être respecté vis-à-vis du commissaire de votre client.

Toutefois, l’article. 56, § 2, 4°, b. de la loi du 11 janvier 1993 mentionnée ci-avant contient implicitement une autre exception au secret professionnel : lorsqu’un professionnel (expert‑comptable, conseil fiscal, notaire, etc.) a fait une déclaration à la CTIF, il a le droit (pas l’obligation) d’en informer les autres « professionnels » qui travaillent en relation avec le même client et dans le cadre d’un même transaction. Cette exception est bien limitée aux cas où une déclaration à la CTIF a été effectivement faite. Elle ne concerne que la mise au courant d’une autre professionnel qu’une déclaration de soupçon faite à la CTIF (exception au principe de l’interdiction du tipping off), et non la communication d’infractions au droit comptable.

Attitude vis-à-vis du client

L’absence de comptabilisation de mouvements de liquidités constitue à tout le moins un manquement aux obligations comptables du cabinet en cause. Il paraît à l’ICCI dès lors qu’il est du devoir du réviseur d’entreprises de rappeler explicitement au cabinet d’avocats l’obligation d’exhaustivité de la comptabilité.

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